Le grain de sel

LE GRAIN DE SEL

Billet d'humeur...

Fils de marin il était tracé de naviguer dans les ressources humaines. Tel le commandant qui gère le rapport de l’homme au navire, le capitaine du personnel gère le lien de l’homme à la mer où les outils de management sont, cartes marines, autant d’aides à la navigation. Dans ces parallèles, les mers et les océans restent comme l’humain des éléments partiellement inconnus et incontrôlables, mais pas incommensurables car le taux de salinité se mesure comme le salaire.

Dans le rapport de l’homme au travail, c’est bien de sel dont il s’agit ; de la quantité de sel que l’on vous octroie dépend votre survie. Comme le sel qui conserve les aliments vous permettait de passer l’hiver, le salaire définit votre niveau de vie, et les marins d’eau douce seront toujours dans l’ombre des capitaines au long cours. Quel bateau pour quelle mer, ou quel travail pour quel salaire, là est le contrat. Et avant de disserter sur le management, il faut donc parler travail. En d’autres termes, si le management s’occupe de maintenir à minima la qualité du travail à fournir ou à effectuer, comment préalablement traiter la quantité quand le ratio du nombre de postes à pourvoir face aux demandeurs est, dans le meilleur des cas et depuis bientôt trente ans, de 1 pour 3.

Près de cinquante ans de crises ont beau avoir succédé aux trente glorieuses, le modèle dicte encore la pensée politique bercée par une vision qui se limite à la seule donnée statistique d’une progression constante du niveau de vie sur une durée de trois décennies. Et dans cette vision tronquée où l’économie fait l’impasse sur le social, avec dans l’ordre le rationnement des denrées, la guerre d’Algérie et mai 68, il ne reste finalement de ces années bonheur qu’une nostalgie du plein emploi qui, dans un inventaire à la Prévert, va de l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt aux jeunes qui ne veulent plus bosser en passant par la Loraine de mon temps avec mes sabots ! Partant de ce mythe hérité de l’après-guerre, il suffit donc de remettre les chômeurs au boulot, comme si tous les demandeurs d’emploi étaient volontaires pour être licenciés, ou à défaut de les embaucher, de les inciter à l’entreprenariat sans se soucier de la viabilité d’un quelconque marché puisque statistiquement seule une start-up sur dix aura la chance de survivre. Sur le plan politique, certains osent encore remettre en cause une donnée horaire vieille de déjà 20 ans sans lui adjoindre une quelconque analyse qualitative, quand d’autres, sur le même raisonnement tronqué avancent que 32 vaut 35. Dans la surenchère, on pourrait aussi supprimer d’emblée la quatrième ou la cinquième semaine de congés payés, voire les congés payés eux-mêmes, héritage d’une influence bolchevique résolue. Jugement excessif, pas si sûr...

Dans ce contexte, la pénurie de compétences apparait encore plus incompréhensible. Comment admettre que des offres ne trouvent pas preneur, comment expliquer aux plus récalcitrants que la solution passe par l’immigration pour trouver dans le bâtiment, dans l’industrie ou dans l’enseignement, des compétences techniques qui ne sont pas attractives aux yeux de ceux à qui on a promis dans l’icône du col blanc des postes d’encadrement ? Car si l’idée de départ, louable en tant que telle, était de faire accéder 90% de la population au Baccalauréat pour améliorer le rendement de l’ascenseur social, il n’était pas forcément écrit que tous ces bacheliers allaient rêver d’un Bac + 3 ou 5 pour prétendre aux postes de cadres à priori plus valorisants, surtout dans les activités de service. C’est oublier un peu vite que sans client une entreprise ne peut vivre (un grand journal d’analyse économique a même cru bon de le rappeler dans un dossier dédié à l’analyse de la crise) et qu’on ne peut donc ériger l’avenir sur le seul modèle des activités de service qui constituent en période de crise la variable d’ajustement. Par définition, dans une PMI on trouvera donc 1 dirigeant, 5 à 10% de cadres et une majorité de techniciens ou d’employés. Si 90% des bacheliers rêvent de postes de cadres, mathématiquement il y aura plus de 80% de frustration ou d’insatisfaction, soit le nombre exact de coachs en management. Et si l’on augmente l’encadrement chez les prestataires de service ou dans les grands groupes, en morcelant auprès des cadres la décision voire en occultant la solution finale, on crée tous les prérequis du burn-out, du mal être ou du harcèlement (ce modèle de management qui perdure aujourd’hui fut d’ailleurs expérimenté avec les résultats que l’on sait dans les années 30 et 40 en Allemagne, où tous les niveaux hiérarchiques estimèrent seulement n’avoir fait qu’exécuter les ordres avec pour certains une conscience professionnelle exemplaire).

A partir de cette analyse, il devient facile de tirer à boulet rouge et dans l’ordre, sur les professeurs, les conseillers d’orientation ou les consultants, les DRH et leurs coachs, tantôt responsables, tantôt profiteurs avides de la situation. On peut aussi pointer du doigt les dirigeants et les syndicats, opportunistes ou rétrogrades, les partis politiques et les branches professionnelles suspects d’abus de pouvoir, ou selon l’humeur tout autre obédience d’influence, sans oublier la presse sans qui nous ne saurions que ou comment penser. Mais plutôt que d’alimenter cette tendance masochiste à la critique facile ou cynique, peut-être est-il tout simplement temps de repenser le rapport de l’homme au travail. Il y a plus d’un siècle le capital s’opposait au travail quand il s’agissait surtout de dénoncer l’injustice de l’oisiveté face au labeur. Puis, de Marshall à Grenelle, le travail s’est lié et réconcilié avec l’augmentation du niveau de la vie, jusqu’à ce que les crises successives viennent les contredire. Quel contrat pour quel travail ? Si ce principe fonde le droit du travail, est-il pour autant la base du contrat social ; n’est-il pas temps de supprimer d’emblée le CDD, source de la précarité sociale dès lors qu’il limite l’accès aux prêts et au logement, pour étendre les motifs de rupture du CDI ? Quel salaire pour quel travail, ou le salaire constitue-t ’il le revenu quand les sources de richesse ne viennent pas toutes du travail ? Un métier pour quoi faire, ou faut-il encore opposer le savoir au faire ?

Faut-il dans un combat d’arrière-garde dépassé continuer à écouter tous ceux qui ne parlent du travail qu’à travers l’objectif de la réduction des charges, au mépris de 40 années d’évolution des Ressources Humaines et de l’émergence du capital humain ; faut-il ainsi continuer à faire peser sur le travail le coût d’un modèle social et culpabiliser le salarié au motif que pour une même tâche le travail coûte moins cher ailleurs ? Faut-il continuer à faire l’amalgame entre le dirigeant qui prend le risque d’investir et crée de la richesse économique et sociale, et le dirigeant d’une société civile qui crée sa richesse par des leviers de défiscalisation sans créer aucun emploi ; serait-il aberrant d’imaginer le financement d’un modèle social par d’autres voies que les seules charges sociales prélevées sur les salaires ? Et à défaut d’un travail pour tous, faut-il un salaire pour tous ? Il s’agit là de champs de réflexion pour avancer et inventer un autre modèle économique et social en dehors des schémas obsolètes qui ont créé une richesse aujourd’hui révolue.

Sans renier le passé, pour innover et avancer, il est urgent de panser autrement pour repenser un modèle social sans à priori, débarrassé des logiques d’une époque qui en créant de la richesse ont conduit aux crises : si l’étymologie est un témoin de l’histoire comme la Gabelle l’une des causes de la révolution, il y a bien longtemps que le sel ne constitue plus un revenu issu du travail ou de l’impôt, et lorsque pour innover, l’armateur réfléchit aux énergies alternatives c’est en ayant abandonné depuis longtemps la propulsion à vapeur et le charbon, quand pour avancer, le commandant trace sa route sans sextant pour contrôler où il va.

YD